C’était un temps de cauchemar. Tout était gris sous un ciel
bleu, pas une goutte de pluie, les guerres et les famines avaient tout ravagé
et la fin du monde semblait venue. Un petit groupe cependant subsistait, très
fatigués, tous malades de la vielle maladie du sommeil qui avait déjà asphyxié
tous les animaux et toutes les plantes, et qui avait cassé ou rendu
méconnaissable ce qui ne vit pas. Ils s’étaient regroupés, trop fatigués pour
penser à demain. On ramassait alors les ruines d’un monde imparfait et violent.
On les ramassait, les classait, les ordonnait afin de leur faire une sépulture
et tout progressivement partait au tombeau. Ceux qui les maniaient sentaient
aussi leur fin prochaine et ils avaient l’intention de se faire disparaître
dans les tombeaux asphyxiants pour toujours, entourés. Au moins l’éternité de
la fin du Monde leur appartiendrait-elle.
L’imbécile de service qui lui, n’était pas couché mais
suivait scrupuleusement le mouvement des autres, se chargea trop et trébucha
sur ce qui lui tombait des mains. La plus sage et importante de ceux qui
n’étaient pas couchés, voyant ça, ne put réprimer une envie de rire. Ce qui
aurait dû être un sourire amer s’esclaffa et se contracta en sa poitrine de
vielle desséchée, et elle se plia en deux, de rire, sans savoir pourquoi. Comme
elle s’appuyait contre le linteau du tombeau vers lequel le dernier enterrement
de l’histoire s’acheminait bon train, quelque chose céda –tout était ruine,
même les tombeaux- et la dernière porte s’effondra. La quinzaine de vioques
estourbis écarquilla les yeux pour contempler la fin de leur fin. Comme la
matriarche ne pouvait s’arrêter de rire, l’imbécile de service s’approcha
d’elle pour la secourir. Elle continua de rire, toussa, alterna rire et toux,
puis mourut. L’imbécile se mit à rire bêtement, un peu moins fort et un peu
moins vite que la matriarche, puisqu’il était bête. Maintenant, comme un
gloussement gagnait les autres, tous auraient pu mourir du premier rire de
l’histoire. Mais ce rire fit tomber d’autres choses, et ce fut le cri du
baptême de toutes les nouvelles choses qui sortirent de la terre. L'imbécile secoué de rires fit tomber de sa poche un haricot et une graine de maïs, promis au dernier musée-tombeau de l'histoire. Les deux touchèrent le terre. Tous les autres avaient oublié ce qu'était un haricot ou un grain de maïs, et personne n'avait pensé à les mettre dans la terre du désert -personne n'aurait pu, ça faisait déjà plusieurs générations que plus rien ne poussait. La Déesse-à-une-jambe, qui était la seule qui se souvenait comment planter des haricots et des grains de maïs -elle en avait un souvenir vague, instinctif- sortit du tombeau en entendant le rire fatal de la la Matriarche. Elle se précipita et enseveli le haricot et le grain de maïs. Elle recueillit sur la joue de la Matriarche morte la dernière larme de rire de l'histoire et la déposa sur le petit monticule de poussière. De la naquît la première Jungle de l'Histoire, qui ravagea la terre et les monuments, qui mit à bas les tombeau des derniers vieux, qui les obligea à se planquer alors que des essaims de mouches et de moustiques les poussait dans les retranchements. Vinrent les premiers floods de l'histoire, car là où il y a jungles, il y a pluies et ruisseaux boueux. Puis les descendants de Derniers Vieux et Vielles se regroupèrent sous des tentes pour se raconter en tremblant l'histoire du Rire qui Créa l'Univers, un sourire au lèvres, et l'irrépressible envie de rire au fond du ventre.