lundi 17 mars 2014

  Historia de un Rio - Stori Flovensik est un texte tropical et utopique (utropique?). Marla en est l'auteure privilégiée. Dans ce texte, Nord et Sud cheminent ensemble le long d'un fleuve immense un jour d'été ou de printemps où toute autre activité serait trop dure à mettre en oeuvre. 

Nord et Sud ne sont pas dénués de sexualité, même si ils ne constituent jamais un couple ; en revanche ils sont strictement privés de genre. Ou plutôt, mieux dit, ils sont alternativement, ou simultanément : femme, homme, et les deux à la fois.

Cette marche, ce fleuve, ces deux personnages donneront naissance aux premiers drafts (drifts?), aux premières esquisses mouvantes de la ville mythique de K, qui sera la synthèse des trois derniers siècles d'urbanisme et d'histoire des réseaux qui pensent. La synthèse, autant que le linceul de la très hypothétique civilisation occidentale -son panonceau d'autostop, sa déclaration d'indépendance, son certificat de décès.




Que pasa con la electricidad.

C'est un jour où les réseaux étaient inexplicablement lents.
Pas d'eau dans les canaux non plus
Mauvaise odeur dans le siphon
Impossible de déterminer si ce sont les vacances ou une zone temporelle entre les vacances et le travail.

Ce sont deux machines à ne rien faire qui s'appellent Norte et Sur, ou A et B, la vérité importe peu.

Prennent les bicis pour ramper jusqu'aux abords du fleuve alimentant la ville immense.
Quel plaisir de ne pas être seul avec internet,
d'avoir un corps cheminant à côté du sien.
Ce sont quatre machines (deux en haut qui parlent, deux en bas qui roulent).

(On rouillais sur la rouille, la nuit et la pluie et le vent
oui, je me souviens, énormément de vent.
Temps gris et lourd, nuages énormes comme des continents inversés.
Hasta la ligne-floue del rio, je pense qu'on peut atteindre las orillas
On m'a dit que c'est l'endroit où le delta charrie le plus de vélos morts
et de machines usées
l'endroit de la vie joyeuse et des cadavres.)
Norte parle
Donde estamos ?

Es importante acordarse que los barrios ricos y los lugares de empleo son situados al norte y al este de la Capital, y que los pobres son al oeste y al sur, lejos de las orillas del gran rio y del buen aire que trae.

Arrêtés devant le fleuve, où il n'y a rien à faire ni rien à dire, puisque ce n'est que la ligne floue de la jonction agua-tierra.

Son dos perdidos près d'un fleuve
Le fleuve est immense
Tellement grand et large qu'on ne peut pas voir l'autre rive
Si il y a une autre rive, et si c'est bien un fleuve.
La corriente es tan lento hoy qu'il est impossible pour l’œil de déterminer le sens dans lequel il se déroule.
Sur jette une branche trop humide qui coule dans les limons beiges, entre les veines sablonneuses.
Norte explique en ayant un peu l'air de mentir que dans cette direction (choisie au hasard) il y a un pont très large et très long qui relie les deux rives.
Les yeux qui cherchent le pont, ou la direction du courant. Le regard qui seulement rencontre le regard de l'autre ou la lumière faible du soleil. Il y a un silence pesant qui indique que les corps récupèrent de la course.
Le paysage est vide de construction humaine.

Le nom de Tacoma proviendrait du nom amérindien du Mont Rainier, Tacobet, qui signifie «madre de las aguas ». Son surnom de Cité du Destin (City of Destiny) provient du fait que le site où a été construit la ville a été choisi par la Northern Pacific Railroad pour être el terminus oeste de la ligne de chemin de fer, a la extremidad sur de la baie du Commencement (Commencement Bay).

Pero no hay trenes.
C'est le delta impossible à traverser, l'origine brune du fleuve.
Le fleuve s'introduit dans les fondations de chaque maisons et l'eau du ciel est strictement la même que l'eau de la terre, la même mais à deux moments différents ;

Norte parle:
J'ai entendu une histoire de pont effondré.
Sur parle:
il n'y a que de l'eau ici, ce pays de malheur qui n'est aucun pays, et tous les pays en même temps se recouvre d'eau à intervalles réguliers.
Le fleuve déchaîné par les pluies d'amont emportant le pont et les autos dessus, on retrouvera plus tard les autos mais pas les passagers, dilués dans l'eau brune limoneuse.

Sur parle:
Les pluies diluviennes durèrent pendant des jours et des rues-fleuves se formèrent
Sur montre les photos de la marque qu'avait fait l'eau dans l'entrée de son immeuble, on voyait très bien les strates différentes indiquant avec une quasi-certitude la lenteur avec laquelle les eaux s'étaient retirées...
Norte fabrique l'image du plan en damier d'une ville, toutes les rues sont scintillantes d'eau.

Me hace pensar...
Norte raconte un rêve compliqué, ou plusieurs rêves qui se ressemblent. Dans un des rêve il lui faut se rendre de sa maison à son lieux de travail avec de l'eau jusqu'aux genoux. Les pieds heurtent d'invisibles batteries de voitures poussées au fond par un fort courant.
Un autre rêve raconte le voyage depuis une ville importante, la ville de sa naissance, jusqu'à une autre ville, celle de son travail, en marchant dans le lit d'une petite rivière au débit rapide... Durant tout ce voyage, il fait nuit.

Sur parle: J'ai rêvé d'une ville immense au milieu d'un désert ou d'une montagne. Les rues de la ville portaient des noms des fleuves et de rivières. Je remontais la rue Nil, croisait la rue Amazone, la rue Gange, la rue Rhône, puis la rue Tamise. Je cherchais la rue Mississippi mais ne la trouvait pas. Les rues étaient courbes, sans perspectives. Les façades des maisons étaient silencieuses. Il n'y avait pas de voiture garées de part et d'autre. Ça sentait la catastrophe.

Perder o vender las bicis.
Chute et roue voilée
Nord: les véhicules sont ce qui réchauffe le monde
Le résultat est le même
Il n'y a plus que les pieds

Norte parle : L'avion, le car, ont tout de l'extase sensuelle. Quand l'avion plonge ou décolle je sens mes intérieurs effectuer des trajets comme lors de caresse très prolongées. Voyage en avion et caresses ne sont pas les mêmes choses mais touchent les mêmes organes. C'est le transport du commun. Il bouge quelque chose, il déplace le point de gravité, il me fait chuter à l'intérieur de moi-même. Mais aujourd'hui, il n'y a ni avion ni car ni train ni voiture. La marche est un long préliminaire.

L'espace est si vide qu'il se remplit de mythes et de prophéties. Les pensées de Nord et Sud font émerger l'image des origines d'une ville sur une des rives du fleuve. Le fantôme de ville prend la forme d'une porte, d'un seuil ; una puerta, un ombral, PRAH, Praha, Prague, Praga.

«Veo una gran ciudad, cuya gloria se tocan las estrellas! Veo un lugar en medio de un bosque donde un empinado acantilado se eleva sobre el río Moldava. Hay un hombre, que es el trabajo umbral (prah) de la casa. Un castillo llamado Praga (Praha) que se construyó allí. Así como los príncipes y los duques encorvarse delante de un umbral, que se inclinará al castillo a la ciudad y en torno a ella. Será Honrado, privilegiado con gran renombre, alabanza y se le concedió por todo el mundo».

Norte sourit un peu, Sur baisse les yeux, mais tout ce qu'on peut voir ce sont des fragments de murs en brique éparpillés léchés par les vagues molles, et une luxuriante végétation.

Estan dos perdidos.
Nous discutons longtemps pour finir par bien nous connaître... Se connaître tellement bien qu'on bute sans arrêt sur des phrases déjà dites et des idées partagées ; jusqu'à ce qu'à nouveau le fleuve nous sépare, nous forçant à suivre des idées très différentes, des chemins évolutifs distincts. Je ne sais pas quand nous nous reverrons.

Espero verte de nuevo pronto. Ya te extraño.

Norte y Sur parlent : Sommes-nous les deux rails parallèles ? Condamnés à cheminer ensemble pour l'éternité sans jamais nous toucher ?

Ils s’assoient.
Ils savent l'eau particulièrement dense (profonde)
Sur parle : Si tu fixe l'eau pendant un long moment, ton corps finit par croire que c'est une surface solide... Ou plutôt il aimerait le croire, car une autre partie de ton corps sait très intimement que tes pieds ne pourraient pas glisser à la surface et que tu coulerais comme une pierre, ou, mieux dit, comme un tronc d'arbre.

En observant les variations d'intensité du courant, la tectonique accélérée de la surface de l'eau, et tous les objets raturant la peau.

Une Petite Tong à motifs de fleurs, du bois brûlé, des racines de nénuphar et des morceaux de polystyrène, des troncs coupés à la scie, à la hache, puis de plus en plus de troncs simplement arrachés par les pluies d'amont (qui ont duré longtemps, plus longtemps qu'une vie humaine) des brindilles qui s'ordonnent naturellement comme des aiguilles d'une boussole, quelques bouteilles vertes et un fragment de casquette.

Norte parle : N'est ce pas comme ça que tu as perdu ton sac, la première fois ?
N'est-ce pas que subitement il s'est vidé des indices de ta vie et s'est rempli à la place d'eau des rivières ? Dedans en le repêchant on trouve un poisson paniqué sans doute plus vieux que nous deux réunis ;
En se relevant, Sur parle : rien n'est statique, cependant rien n'est cyclique non plus.
La casquette fait des cercles très larges dans l'eau.

Te souviens tu de ce car qui ne longeait pas un fleuve mais qui ne faisait que traverser des ponts?
De ce moment où un petit fleuve improvisé avait coupé la route du car?

Norte fabrique l'image d'une ville dans laquelle il est possible de tout ignorer de La Capital.
Des trains et des bus qui effectuent de très longs trajets, mais qui s'arrêtent aussi en balnieue et qui s'arrêtent moins quand le tissu urbain se desserre et devient forêt, marécages et montagnes.
La Capitale, Cerveau de la Nation, n'existe pas. Elle n'est que l'une des potentialités de chaque ville, chaque village et chaque maison isolée du pays et peut-être du monde.
Ce qu'il nous faut c'est une capitale qui ne soit pas le centre de la nation. Ce qui nous faut c'est des millions de capitales et pas de nations.
Un grand pays rendu aux mouches nocturnes.
L'après-midi dans les forêts métalliques entre les montagnes de fer (mica, roches étranges à travers lesquelles la lumière passe) l'activité réduite des humains laisse imaginer que la civilisation a disparu; seules restent les mouches.

Tu sais, les kilomètres ne sont rien. Et en même temps, les kilomètres sont invincibles. Toi tu es vincible, mais ce n'est pas grave, il y a le vent et les montagnes, il y a le vent dans les montagnes. Il y a le vent dans les câbles électriques, il y a le vent et les câbles électriques.

Quand nous marchons nos corps sont entiers dans la marche, dans la mécanique de la vitesse intime... Des pierres... La poussière reste très près des pas. Dans les véhicules l'eau et la poussière s'élève et nos corps se soulèvent – (Sur) se surélèvent – Oui.

La nuit tombe. Le Rio n'a toujours qu'un courant faible. La route est poussiéreuse.

Un groupe apparaît sur la route joints ils en occupent toute la largeur.
Norte: Ils marchent pour faire la route!
Puis ils disparaîssent.
Sur: Le chemin les a avalés!

Norte sait que le chemin se fera avec Sur, et de fait s'inquiète pour son dos, son ventre, ses pieds;
Norte & Sur dorment à l'hôtel;
Odeur d'une chambre où beaucoup ont dormi et dorment encore, mais il fait trop sombre pour voir qui que ce soit même si la présence de nombreux corps au repos est palpable.
Dans l'immense construction en construction
Nous sommes rêvants.